Épisode 0
Créé le 7 septembre 2007 au studio de la compagnie, 129 avenue Philippe Auguste, Paris 11, 19h
Daniel Larrieu donne une conférence sur le degré 0 du paysage en commentant deux œuvres. 'Une femme lisant une lettre' du peintre Veermer & une photographie « O m » de Paul Armand Gettetexte, Daniel Larrieu
Assistants, Judith Perron, Franck Jamin
Cette conférence a été présenté à Brétigny pendant les rencontres sur le paysage le 20 Mai 2008.
Texte intégral
Cette conférence a été présentée pour la première fois en septembre 2007 dans le studio de danse de la compagnie astrakan. Je voudrais en préambule vous proposer de reconstituer les éléments scénographiques à cette proposition. Les invités se présentent. Les quatre orients ont été marqués au crayon sur les murs, les rideaux sont tirés, derrière l’un d’entre eux le nom LUX est posé en lettre métal. Des tabourets pliants orange prêtés par le manège de Reims. Sur le mur, une toile reproduite de Vermeer représente « une jeune fille en bleu lisant une lettre ». Au sol, un chiffre vide embouti 0 dans une plaque de métal. Une table, deux chaises, deux caméras vidéos. Un micro sur la table. Une boussole.
Dans une armoire un vêtement qui imite un peu le vêtement de la jeune fille de la toile de Vermeer.
Ici je vous propose d’indiquer les orients l’aide de cette boussole
«La conférence sur rien » du compositeur John Cage, traduite par Jean-Jacques Palix et Eve Couturier il y a deux ans, a beaucoup orienté ce travail. Autant commencez par la fin, les remerciements, les hommages et les influences.
Dans cette conférence, Cage commente le rien, le vide, comme un espace et une hypothèse de sensation. Pour nous qui voulons toujours plus et demandons aux êtres et aux choses leurs valeurs, ce qui nous rapporte ou nous perd, les échelles, les points de vues, gardons en mémoire cette vacuité qui n’est jamais absence, mais toujours réjouissance du vide et de l’intervalle. Une pause dans la respiration, une conscience du mouvement.
Nous étions le 7 Septembre 2007, nous sommes le 20 MAI 2008 et nous sommes toutes les heures du ici et maintenant sur le net…
Expérience 0 du paysage.
Rideau fermé, ailleurs
Un numéro zéro pour commencer, une entrée par la tranche à propos du paysage.
Et puis Zéro n’est rien, même pas un peu.
Zéro, ce n’est rien du tout.
Zéro, c’est bien, puisque c’est nul.
Alors pas de pression, puisque pression zéro
ce n’est pas de la pression.
Zéro pression pour le numéro zéro, sinon c’est nul de se mettre la pression pour le numéro zéro.
Mais on a dit que zéro, c’est nul alors, pression ou pas, il faut bien commencer à un endroit, un endroit où l’unité même n’existe pas encore, ou compter, non plus, n’a pas existé encore, nommer un non-lieu, un zéro dans le paysage, presque sans boussole, presque sans carte et sans orientation ; pas perdu encore, sans désir d’avancer, sans rentrer dans le paysage de force ; laisser advenir une expérience, traverser le brouillard, traverser un mystère. Un endroit qui n’est pas un endroit selon Jon Foss.
C’est pour cela que nous sommes ici, dans un espace de travail. Ici rien n’est définitif, ou rien ne se ferme, où tout est sensation, pas de confort stable, un endroit plutôt doux pour se réadapter toujours, un endroit ou se fabrique la danse comme œuvre d’une vie, invisible au repos, toujours présente, l’inverse d’une ombre à l’intérieur de soi, le danseur dirait un mouvement.
Montrant l’image du catalogue rose ;
Ceci est une image de Paul-Armand Gette. Il photographie un panneau de bois sur lequel est écrit « 0 m » du bord de la mer à Malmö en Suède, en 1974.
Je suis tombé par hasard sur ce catalogue rose dit « Perturbation » en faisant des recherches dans une librairie d’art. Je cherchais un catalogue de l’exposition à Beaubourg de Tony Grand et le catalogue de Gette édité par l’Arc en 1983 suivait à la lettre G.
Je cite :
« L’orée de la forêt nous intéresse plus que la forêt, non pas en raison d’un pittoresque quelconque, mais simplement en tant que possibilité de situation. La marginalité est pour nous une position privilégiée et nous l’aimons extrême ; ainsi debout sur la plage, face à la mer, l’absence de paysage nous ravit. »
Un paysage qui ne serait pas encore du paysage, en gestation, en devenir, en attente d’être nommé.
Avant de devenir sujet, avant le verbe « montrer » et tous les sens perceptifs mis en marche.
Montrer du doigt, de la tête, du coude.
Montrer du regard ou du pied.
Montrer par l’espace par le temps, par la distance, par l’éloignement, le rapprochement, montrer par l’altitude, la disparition, par le climat, les sols et les jeux, par le végétal par le minéral les eaux le soleil, la lune etc…montrer ses idées, montrer la parole le dessin.
« Zéro de conduite », c’est déjà trop du cinéma. Zéro, point zéro, je ne gagne rien, mais je ne perds pas non plus. Juste un peu de vide dans ce monde trop plein.
Faire l’âne, le piquet, faire la différence entre nul et zéro.
Pas une dépression, non, pas cela, pas ce qui signifierait, qu’il y avait un avant, un avant qui était mieux, une souffrance, un abîme, un désir sans suite, un couvercle sur la tête du présent.
Pas non plus un moment superbe, une expérience unique, du vent dans les voiles, des horizons à gogo, des cadeaux à gagner.
- Tiens, des voyages, des pochettes surprises de vie, une pêche miraculeuse,
- trois mille tours de grande roue,
- ton poids en sucre et en riz,
- « Va en voir du pays, et tu racontes après, avec les photos, les aventures touristico-pittoresques. Le tour du monde des piscines d’eaux de mers, le circuit de la production de la mangue en Orient. Apprendre à fabriquer son tapis sans tisser grâce aux techniques ancestrales du feutre en Mongolie,
-Non, pas d’aventures, enfin presque pas, une expérience, celle-la ne compte pas, pas pour l’instant, elle sera comprise bien sur à la fin, sur l’ardoise, vous êtes présent, dans une addition comme une ligne zéro successifs, qui ne compte pas mais qui est là pour se rappeler notre valeur propre.
La valeur du rien.
JUSTE UNE PLACE.
Je cite Paul-Armand Gette dans « Considération en forme d’hommage » :
« Zéro est un point d’équilibre particulièrement intéressant, un point de discrétion et de liberté. »
Pour moi, c’est mieux pour le calcul, on se repère, on comble les vides sur les lignes de nombres alignés, mais qui ne change rien dans le calcul, non presque rien, un confort. Un rêve. Un non-rêve. Des étagères pour des livres à venir, de la mémoire libre pour un avenir sans détails.
Imaginons que je regarde par cette fenêtre, alors je pourrais être debout, le poids légèrement en avant dans une orientation différente et je vous rappelle pour ceux qui ne l’ont pas vus que nous sommes orienté actuellement.
Je décris les quatre points cardinaux.
J’ai regardé ce texte dans la lumière artificielle de Paris, derrière ces rideaux, il y a une vue des toits depuis le 129, avenue Philippe Auguste, 11ème arrondissement, France, Europe, Monde. Quelle heure est-il ?
Cessons-nous de rêver quand nous demandons l’heure. Proust et les murs de toutes ces chambres. Revenir c’est aussi s’assurer d’un voyage. Longtemps, j’ai dansé de bonne heure.
Ce paysage, cette vue, que je désigne indirectement, est bien unique puisque demain des travaux, de nouveaux immeubles, l’évolution de la végétation et des saisons… en changeront l’apparence générale et les détails. Je partirai un jour de cet endroit, d’autres verront, comme d’autres avant nous, ont vu aussi. Ce que je devine au-delà de cette fenêtre est donc aussi un paysage-temps, un moment de ma vie, un moment de ma propre vision. Cette vue influe sur ma pensée, mes modes d’observation, ma capacité à être présent à moi-même dans ce « ici et maintenant ». Je pourrai savoir s’il pleut, et quelle est la température extérieure.
-Vous êtes là aussi et cela aussi cela compte dans mon état de ce que je perçois, vous pourriez vous rendre compte de ce qu’il se passe à l’extérieur.
Ici je me lève et pars vers le fond de la salle. Judith Perron ouvre un placard et met des vêtements. Franck J. la rejoint. J’ai oublié de mettre le cd des peupliers et je reviens et je lance le cd. Puis je regagne sa place.
L’action consiste à mettre un vêtement et tenir une lettre et faire une photographie. Les protagonistes reprennent leur place.
Que quelqu’un vienne prendre ma place et la vue est modifiée. Je ne parle pas de décrire le paysage ou le contenu de cette conférence, un bon appareil numérique, un mail et voilà la vision de chacun envoyée, avec un mot de l’auteur de ce numéro zéro. Le paysage commence avec une représentation de soi, je préfèrerai même une présence à soi. Un geste envers soi. Soi comme sujet, soit comme une réalité. La représentation de soi est chez certains, déjà une nostalgie, un réel, perdu, égaré, effaré de supporter le présent, un fardeau de vivre à l’heure dite. L’être confondu dans son milieu d’autrefois. Certains nommeront cela l’enfance, d’autres le paradis, une forêt primordiale; une chanson avant la musique, un monde avant qu’il soit nommé. Un geste latent. Une torsion inconnue.
Un souvenir à fabriquer à partir d’une sensation réelle de l’existence.
Il n’y a pas longtemps j’ai lu ;
Le récit de la fête est la moitié de la fête
Transposons ;
Le récit du paysage est la moitié du paysage.
Le récit de la danse est-il la moitié de la danse ?
Vermeer.
Ainsi étant touché par ce que je vois ou même par le récit que l’on m’en fait ou que je m’en fabrique, je repense à un tableau de Vermeer ou une femme debout, lit une lettre près d’une fenêtre et semble immobile. Ce tableau qui a fait vendre plus de chocolat, que moi des maillots de bain, ce tableau m’a volé des larmes et ne me les as pas rendues, dans les années 90 à Amsterdam.
« La femme en bleu lisant une lettre. »
La peinture de Johannes Vermeer ou la naissance du paysage.
Je pensai que ce tableau n’avait pas grande relation avec le sujet, pas dans un premier temps en tous cas. Du coq à l’âme. Voilà ce que l’on me dit maintenant, souvent lorsque pris dans mes propres explications, les camarades de travail me rappellent que je suis totalement incompréhensible. Et plusieurs idées ont déboulé ; c’est bien une carte qui est à l’arrière du personnage, la même carte qui sert aussi dans un autre tableau de Vermeer ; une carte de géographie. J’en parle à une amie, voilà ce qu’elle m’envoie, un Goggle cadeau de la toile net.
Mesures d’une fiction picturale, la carte de géographie
Par Marie-Ange Brayer.
Jusqu’au 19ème siècle, la carte de géographie fut appréhendée comme une parabole de la peinture, réduite comme elle à transposer le monde sur une surface plane. Au Moyen Âge, la carte de géographie était considérée comme une imago, au même titre que la peinture ou la sculpture. Carte ou oeuvre d’art autorisaient un déplacement de la vue et une pluralité de regards, s’offrant simultanément à plusieurs “points de vue” dont aucun n’est privilégié : d’où une mobilité iconique. Cette vision dispersive se centralisa à la Renaissance : l’espace rationalisé de la perspective centrale réclama une vision monoculaire, assignant un point de vue fixe sur le monde. Peinture et carte s’apparentent alors plus à une grille de coordonnées mathématiques. Cependant, aucune scission n’a cours à la Renaissance entre l’acte de peindre et le geste de dresser une carte, comme en témoigne Leonardo da Vinci qui entra en qualité de cartographe au service de Cesare Borgia. Au 17ème siècle, carte et espace pictural sont encore des strates de visible qui s’imbriquent, se recouvrent, même si leurs surfaces d’inscription commencent à se détacher l’une par rapport à l’autre, repoussant la picturalité de la carte vers ses bords à travers l’ornementation des cartouches. Dans L’Atelier du Peintre, Vermeer opère une mise en abyme de la carte comme surface picturale dans un espace clos. Le savoir de la carte y est traité en champ lumineux : s’assimilant à un acte de vision, la carte y est enluminée et signée comme une peinture. Cependant sa surface s’est opacifiée ; la carte n’offre déjà plus la même fluidité visuelle que celle de l’espace lumineux pictural.
Sur le mur, une carte de géographie de Nicolas Piscator, grand géographe et chroniqueur hollandais des années 1620, représentant les Pays-Bas.
Que fait une carte de géographie derrière un personnage de genre féminin peint de profil immobile et lisant une lettre ? Ces deux éléments sujets nous entraînent vers un songe poétique.
L'artiste a mis le même fond d'écran, ce n'est pas un couvre-lit, pas une nappe du dimanche, la fille est peut-être devant un trou qu'elle cache. Ce n’est pas possible puisque dans un autre tableau de Vermeer on voit la carte en grand, pas de trou, pas de manque.
Si la jeune fille est face à la lettre et à une fenêtre, nous sommes face à une carte de géographie, mais du point de vue du texte de Marie-Ange, on la connaît à présent, il se pourrait bien que nous soyons aussi face à nous-même, face à une représentation d’une géographie intérieure. Et cette carte exprimerait, pourrait exprimer de nombreux points de vue, la désormais célèbre « mobilité iconique ». Alors que le peintre nous permet de devenir cette jeune fille qui est toute à sa lecture, la lettre, la carte ; nous sommes liés intimement. Vermeer pose entre réalité et points de vue un lien mobile, ouvert pour percevoir les messages de soi et du monde.
Elle a reçu une lettre de son époux qui voyage, elle est enceinte, elle sait, est-ce lui la carte du monde ; c’est une lettre d’un membre éloigné de la famille, géographiquement ou en tous les cas qui n’est pas présent là dans cette pièce ; même si c’est une liste de commissions ou un mot d’amour, celui ou celle qui l’a écrit n’est pas là. Elle se révèle à elle-même en même temps qu’elle révèle aux autres.
Me reprend cette fameuse nostalgie du présent. Cette femme semble arrêtée dans sa lecture, ailleurs, hors de son propre temps.
Moi-même devant cette fenêtre, je pouvais m’éloigner de vous en pensées, rejoindre un ailleurs imaginaire qui me permet si facilement de ne pas être en contact avec la réalité.
La seule vision de quelqu’un lisant son courrier dans la rue ou dans le métro nous donne, enfin me donne, à la fois le sentiment d’un plaisir voyeur et d’un détachement total.
La personne qui lit publiquement renvoie à notre propre intime et à une présence à soi dans un ailleurs qui n’est pas le ici.
Au début des téléphones portables, c’était flagrant.
La sensation du paysage, sa beauté, son étourdissement, sa violence prend sa source dans :
- une présence soudaine révélée à soi-même, un appel, un qu’est-ce qui m’arrive ?
- une absence du sujet, ici et maintenant, un oubli de soi, un évanouissement, je flotte, un adieu au réel.
- un contact inconnu et mystérieux antérieur, une retrouvaille, un « on était si tranquille. »
- un déjà-vu, un bonheur déjà goûté que l’on reconnaît, un rappel.
Le dessin, l’œil en même temps que la volonté de se saisir de la mesure, de la perspective, des points de fuite, en un mot une convention qui rassemble et détermine, une pensée unique mono-oculaire, à plat, un langage et un corps qui domine.
Quelqu’un s’étouffe un peu dans la salle, il commence à faire chaud et comme c’est le moment, j’ouvre deux rideaux. Derrière on découvre les lettres LUX (lumière en latin) et le paysage du studio. Ouverture d’une fenêtre.
Ici et maintenant.
Certains savent ce que l’on voit depuis cette fenêtre car ils/elles sont venus souvent, d’autres ne savaient pas du tout ce qu’il y avait derrière ces rideaux. Tout est affaire de point de vue, de relation, de culturel.
J’ai appris, merci Augustin Berque, nous avons beaucoup lu ces derniers temps sur le paysage, que pour certaines civilisations et non des moindres (dans l’Inde classique par exemple) la notion de paysage est totalement absente, je cite :
« Le mot sanskrit cara que l’on peut traduire par ‘milieu de vie’, une contrée saisie dans son étendue et dans ses ressources médicinales et alimentaires. On dira pour ces pays que c’est plutôt la digestibilité, le ventre plutôt que les yeux qui est favorisé. »
Ce que je regarde à présent, personne ne le voit. Non que ce soit particulièrement insoutenable ou merveilleux, mais comme la vue est unique nous ne pouvons imaginer que ce que l’on voit et c’est tant mieux.
Ainsi, ayant posé le principe par-dessus tout, et accompagnant ce que je viens de dire sur la vue, on pourrait développer vers d’autres sens le toucher, l’odorat, etc.
Cette femme près de sa fenêtre qui lit une lettre, immobile, sereine, attentive, si précise dans son contour est sujet de l’œuvre. Elle nous précise que la peinture propose un champ, une optique, un point de vue, une hauteur, un regard, une entrée et une sortie de l’espace pictural.
Je regarde une lectrice qui regarde une lettre. Elle est face à son courrier, je suis face à la carte de géographie, macro et microcosme, le monde du dedans et le monde du dehors coïncident par les yeux et le regard. Pendant que je regarde cette femme lire, je lis moi-même toutes indications, pas seulement le regard mais ce que je sens partout.
Alors vient une allégorie de la peinture. Le peintre peint le paysage de cette femme, par sa prise de contact avec autre chose qu’elle même. Il existe à cet endroit exact quelque chose qui n’a pas été vu, lu encore et qui reste sans doute peu vu et lu. Le paysage en peinture ne se réduit pas à une reproduction de la nature, mais bien à un mystère plus irreprésentable qui surgit dans la correspondance de l’espace-temps, et dont il s’agit d’en transmettre une lecture.
Cet instant, cette prise de vues, au sens du cinéma, nous donne la possibilité double d’être sujet de l’expérience, de recevoir, lire un courrier par exemple, mais aussi de voir l’image de quelqu’un lisant et de devenir l’œil du peintre, son choix de cadre, son recul, sa distance vis-à-vis du sujet, sa discrétion. Ce que je vois est bien la vision d’un peintre. Vermeer peint une lectrice et je deviens les deux sujets au même moment. Celui qui est représenté et celui qui a fait le geste de la représentation.
Repensons au « 0 m » de Paul-Armand Gette au vue de cette représentation. Il indique avec le 0 de l’altitude qu’il y a révélation qu’à la condition, non de renommer le paysage mais de s’y révéler comme sujet.
C’est ici que la pensée et l’action du paysage joue dans la pensée occidentale et cette manière de « voir » va déterminer quel type de choix nous pourrions engager lorsqu’il s’agit de travailler à « un 7 épisodes à propos du paysage. »
Nous savons que si le regard joue un rôle déterminant dans la faculté d’appréhender l’espace-temps, d’autres manières restituent le paysage.
La reproduction de la reproduction de ce tableau en gâteau rendrait notre tâche plus simple, même des lettres en sucre sur une feuille de pâte d’amandes nous donneraient d’autres sensations de l’espace pictural. Nous lirions avec notre appétit, notre désir de sucre, même si pour certains seul le salé compte.
Patrick André, lors de notre travail pour « Potlach-dérives » produit par le Centre Chorégraphique National de Montpellier, m’avait conseillé de proposer à Mathilde Monnier de faire brûler les cadeaux qu’on lui offrait. Le geste était paradoxal et proposait selon lui au moins un peu de chaleur. Ainsi cela fut fait. On offrit à la dame une boîte d’allumettes de son pays de naissance et les flammes donnèrent un peu énergie.
Conclusion .
La danse dans tout ça, le mouvement à propos du paysage ? Eh bien le nom paysage est à lui seul une allégorie de ma vision de la danse, qui en dehors de ses facultés visuelles devrait aussi tenir à d’autres facultés de perception, de digestibilités. A ce jour bon nombre de représentations spectaculaires viennent à peine border nos yeux d’images prévisibles, et ne nourrir que la vue au mieux. Nous réclamerons ici que si la révolution du geste est accomplie, il nous faut encore jouir ici au delà ou en deçà du visuel de toute l’étendue que réclament nos cœurs et corps affamés. Encore une fois je ne parle que pour moi.
Ainsi par un tour peut-être magique c’est ce que je souhaite, en hommage à ce peintre si connu, qui est mort en deux jours dans la tristesse la plus grande, me réclamant aussi de la pensée de Gilles Clément, et aussi d’Augustin Berque et d’autres, je vous invite à une collation récréative. Venant nourrir ce projet d’expérience à propos du paysage, il est temps de boire un coup, et de parler de la pluie et du beau temps, une manière aussi de s’inquiéter du paysage et de la danse.
Ici si nous buvons un verre en bavardant, nous faisons la même chose, mais sans perspective aucune.
Cette conférence dite zéro a été écrite en partie en juillet et août 2007 à Paris et au Havre.
Les sources citées :
- Augustin Berque, Cinq propositions pour une théorie du paysage, Champ Vallon, 1994.
- Vermeer pour la particulière beauté de son œuvre.
- Paul-Armand Gette, « Perturbation » (16 mars – 24 avril 1983, ARC, Musée d’art moderne de la ville de Paris).
Remerciements :
- Boris Jolivet pour le double son des peupliers du Jura.
- Marie Nimier pour la recherche sur Goggle.
- Marie-Ange Brayer pour le texte « La marque et la mesure ».
- Frank Boulanger qui m’a permis de réaliser l’agrandissement de la toile de Vermeer.
- Judith Perron et Frank Jamin qui me supportent depuis quelques mois autour de la géographie mouvante de ce projet. Et m’assistent avec patience.
- Jean-Philippe Rossignol pour la relecture attentive du texte.
Daniel Larrieu donne une conférence sur le degré 0 du paysage en commentant deux œuvres. 'Une femme lisant une lettre' du peintre Veermer & une photographie « O m » de Paul Armand Gettetexte, Daniel Larrieu
Assistants, Judith Perron, Franck Jamin
Cette conférence a été présenté à Brétigny pendant les rencontres sur le paysage le 20 Mai 2008.
Texte intégral
Cette conférence a été présentée pour la première fois en septembre 2007 dans le studio de danse de la compagnie astrakan. Je voudrais en préambule vous proposer de reconstituer les éléments scénographiques à cette proposition. Les invités se présentent. Les quatre orients ont été marqués au crayon sur les murs, les rideaux sont tirés, derrière l’un d’entre eux le nom LUX est posé en lettre métal. Des tabourets pliants orange prêtés par le manège de Reims. Sur le mur, une toile reproduite de Vermeer représente « une jeune fille en bleu lisant une lettre ». Au sol, un chiffre vide embouti 0 dans une plaque de métal. Une table, deux chaises, deux caméras vidéos. Un micro sur la table. Une boussole.
Dans une armoire un vêtement qui imite un peu le vêtement de la jeune fille de la toile de Vermeer.
Ici je vous propose d’indiquer les orients l’aide de cette boussole
«La conférence sur rien » du compositeur John Cage, traduite par Jean-Jacques Palix et Eve Couturier il y a deux ans, a beaucoup orienté ce travail. Autant commencez par la fin, les remerciements, les hommages et les influences.
Dans cette conférence, Cage commente le rien, le vide, comme un espace et une hypothèse de sensation. Pour nous qui voulons toujours plus et demandons aux êtres et aux choses leurs valeurs, ce qui nous rapporte ou nous perd, les échelles, les points de vues, gardons en mémoire cette vacuité qui n’est jamais absence, mais toujours réjouissance du vide et de l’intervalle. Une pause dans la respiration, une conscience du mouvement.
Nous étions le 7 Septembre 2007, nous sommes le 20 MAI 2008 et nous sommes toutes les heures du ici et maintenant sur le net…
Expérience 0 du paysage.
Rideau fermé, ailleurs
Un numéro zéro pour commencer, une entrée par la tranche à propos du paysage.
Et puis Zéro n’est rien, même pas un peu.
Zéro, ce n’est rien du tout.
Zéro, c’est bien, puisque c’est nul.
Alors pas de pression, puisque pression zéro
ce n’est pas de la pression.
Zéro pression pour le numéro zéro, sinon c’est nul de se mettre la pression pour le numéro zéro.
Mais on a dit que zéro, c’est nul alors, pression ou pas, il faut bien commencer à un endroit, un endroit où l’unité même n’existe pas encore, ou compter, non plus, n’a pas existé encore, nommer un non-lieu, un zéro dans le paysage, presque sans boussole, presque sans carte et sans orientation ; pas perdu encore, sans désir d’avancer, sans rentrer dans le paysage de force ; laisser advenir une expérience, traverser le brouillard, traverser un mystère. Un endroit qui n’est pas un endroit selon Jon Foss.
C’est pour cela que nous sommes ici, dans un espace de travail. Ici rien n’est définitif, ou rien ne se ferme, où tout est sensation, pas de confort stable, un endroit plutôt doux pour se réadapter toujours, un endroit ou se fabrique la danse comme œuvre d’une vie, invisible au repos, toujours présente, l’inverse d’une ombre à l’intérieur de soi, le danseur dirait un mouvement.
Montrant l’image du catalogue rose ;
Ceci est une image de Paul-Armand Gette. Il photographie un panneau de bois sur lequel est écrit « 0 m » du bord de la mer à Malmö en Suède, en 1974.
Je suis tombé par hasard sur ce catalogue rose dit « Perturbation » en faisant des recherches dans une librairie d’art. Je cherchais un catalogue de l’exposition à Beaubourg de Tony Grand et le catalogue de Gette édité par l’Arc en 1983 suivait à la lettre G.
Je cite :
« L’orée de la forêt nous intéresse plus que la forêt, non pas en raison d’un pittoresque quelconque, mais simplement en tant que possibilité de situation. La marginalité est pour nous une position privilégiée et nous l’aimons extrême ; ainsi debout sur la plage, face à la mer, l’absence de paysage nous ravit. »
Un paysage qui ne serait pas encore du paysage, en gestation, en devenir, en attente d’être nommé.
Avant de devenir sujet, avant le verbe « montrer » et tous les sens perceptifs mis en marche.
Montrer du doigt, de la tête, du coude.
Montrer du regard ou du pied.
Montrer par l’espace par le temps, par la distance, par l’éloignement, le rapprochement, montrer par l’altitude, la disparition, par le climat, les sols et les jeux, par le végétal par le minéral les eaux le soleil, la lune etc…montrer ses idées, montrer la parole le dessin.
« Zéro de conduite », c’est déjà trop du cinéma. Zéro, point zéro, je ne gagne rien, mais je ne perds pas non plus. Juste un peu de vide dans ce monde trop plein.
Faire l’âne, le piquet, faire la différence entre nul et zéro.
Pas une dépression, non, pas cela, pas ce qui signifierait, qu’il y avait un avant, un avant qui était mieux, une souffrance, un abîme, un désir sans suite, un couvercle sur la tête du présent.
Pas non plus un moment superbe, une expérience unique, du vent dans les voiles, des horizons à gogo, des cadeaux à gagner.
- Tiens, des voyages, des pochettes surprises de vie, une pêche miraculeuse,
- trois mille tours de grande roue,
- ton poids en sucre et en riz,
- « Va en voir du pays, et tu racontes après, avec les photos, les aventures touristico-pittoresques. Le tour du monde des piscines d’eaux de mers, le circuit de la production de la mangue en Orient. Apprendre à fabriquer son tapis sans tisser grâce aux techniques ancestrales du feutre en Mongolie,
-Non, pas d’aventures, enfin presque pas, une expérience, celle-la ne compte pas, pas pour l’instant, elle sera comprise bien sur à la fin, sur l’ardoise, vous êtes présent, dans une addition comme une ligne zéro successifs, qui ne compte pas mais qui est là pour se rappeler notre valeur propre.
La valeur du rien.
JUSTE UNE PLACE.
Je cite Paul-Armand Gette dans « Considération en forme d’hommage » :
« Zéro est un point d’équilibre particulièrement intéressant, un point de discrétion et de liberté. »
Pour moi, c’est mieux pour le calcul, on se repère, on comble les vides sur les lignes de nombres alignés, mais qui ne change rien dans le calcul, non presque rien, un confort. Un rêve. Un non-rêve. Des étagères pour des livres à venir, de la mémoire libre pour un avenir sans détails.
Imaginons que je regarde par cette fenêtre, alors je pourrais être debout, le poids légèrement en avant dans une orientation différente et je vous rappelle pour ceux qui ne l’ont pas vus que nous sommes orienté actuellement.
Je décris les quatre points cardinaux.
J’ai regardé ce texte dans la lumière artificielle de Paris, derrière ces rideaux, il y a une vue des toits depuis le 129, avenue Philippe Auguste, 11ème arrondissement, France, Europe, Monde. Quelle heure est-il ?
Cessons-nous de rêver quand nous demandons l’heure. Proust et les murs de toutes ces chambres. Revenir c’est aussi s’assurer d’un voyage. Longtemps, j’ai dansé de bonne heure.
Ce paysage, cette vue, que je désigne indirectement, est bien unique puisque demain des travaux, de nouveaux immeubles, l’évolution de la végétation et des saisons… en changeront l’apparence générale et les détails. Je partirai un jour de cet endroit, d’autres verront, comme d’autres avant nous, ont vu aussi. Ce que je devine au-delà de cette fenêtre est donc aussi un paysage-temps, un moment de ma vie, un moment de ma propre vision. Cette vue influe sur ma pensée, mes modes d’observation, ma capacité à être présent à moi-même dans ce « ici et maintenant ». Je pourrai savoir s’il pleut, et quelle est la température extérieure.
-Vous êtes là aussi et cela aussi cela compte dans mon état de ce que je perçois, vous pourriez vous rendre compte de ce qu’il se passe à l’extérieur.
Ici je me lève et pars vers le fond de la salle. Judith Perron ouvre un placard et met des vêtements. Franck J. la rejoint. J’ai oublié de mettre le cd des peupliers et je reviens et je lance le cd. Puis je regagne sa place.
L’action consiste à mettre un vêtement et tenir une lettre et faire une photographie. Les protagonistes reprennent leur place.
Que quelqu’un vienne prendre ma place et la vue est modifiée. Je ne parle pas de décrire le paysage ou le contenu de cette conférence, un bon appareil numérique, un mail et voilà la vision de chacun envoyée, avec un mot de l’auteur de ce numéro zéro. Le paysage commence avec une représentation de soi, je préfèrerai même une présence à soi. Un geste envers soi. Soi comme sujet, soit comme une réalité. La représentation de soi est chez certains, déjà une nostalgie, un réel, perdu, égaré, effaré de supporter le présent, un fardeau de vivre à l’heure dite. L’être confondu dans son milieu d’autrefois. Certains nommeront cela l’enfance, d’autres le paradis, une forêt primordiale; une chanson avant la musique, un monde avant qu’il soit nommé. Un geste latent. Une torsion inconnue.
Un souvenir à fabriquer à partir d’une sensation réelle de l’existence.
Il n’y a pas longtemps j’ai lu ;
Le récit de la fête est la moitié de la fête
Transposons ;
Le récit du paysage est la moitié du paysage.
Le récit de la danse est-il la moitié de la danse ?
Vermeer.
Ainsi étant touché par ce que je vois ou même par le récit que l’on m’en fait ou que je m’en fabrique, je repense à un tableau de Vermeer ou une femme debout, lit une lettre près d’une fenêtre et semble immobile. Ce tableau qui a fait vendre plus de chocolat, que moi des maillots de bain, ce tableau m’a volé des larmes et ne me les as pas rendues, dans les années 90 à Amsterdam.
« La femme en bleu lisant une lettre. »
La peinture de Johannes Vermeer ou la naissance du paysage.
Je pensai que ce tableau n’avait pas grande relation avec le sujet, pas dans un premier temps en tous cas. Du coq à l’âme. Voilà ce que l’on me dit maintenant, souvent lorsque pris dans mes propres explications, les camarades de travail me rappellent que je suis totalement incompréhensible. Et plusieurs idées ont déboulé ; c’est bien une carte qui est à l’arrière du personnage, la même carte qui sert aussi dans un autre tableau de Vermeer ; une carte de géographie. J’en parle à une amie, voilà ce qu’elle m’envoie, un Goggle cadeau de la toile net.
Mesures d’une fiction picturale, la carte de géographie
Par Marie-Ange Brayer.
Jusqu’au 19ème siècle, la carte de géographie fut appréhendée comme une parabole de la peinture, réduite comme elle à transposer le monde sur une surface plane. Au Moyen Âge, la carte de géographie était considérée comme une imago, au même titre que la peinture ou la sculpture. Carte ou oeuvre d’art autorisaient un déplacement de la vue et une pluralité de regards, s’offrant simultanément à plusieurs “points de vue” dont aucun n’est privilégié : d’où une mobilité iconique. Cette vision dispersive se centralisa à la Renaissance : l’espace rationalisé de la perspective centrale réclama une vision monoculaire, assignant un point de vue fixe sur le monde. Peinture et carte s’apparentent alors plus à une grille de coordonnées mathématiques. Cependant, aucune scission n’a cours à la Renaissance entre l’acte de peindre et le geste de dresser une carte, comme en témoigne Leonardo da Vinci qui entra en qualité de cartographe au service de Cesare Borgia. Au 17ème siècle, carte et espace pictural sont encore des strates de visible qui s’imbriquent, se recouvrent, même si leurs surfaces d’inscription commencent à se détacher l’une par rapport à l’autre, repoussant la picturalité de la carte vers ses bords à travers l’ornementation des cartouches. Dans L’Atelier du Peintre, Vermeer opère une mise en abyme de la carte comme surface picturale dans un espace clos. Le savoir de la carte y est traité en champ lumineux : s’assimilant à un acte de vision, la carte y est enluminée et signée comme une peinture. Cependant sa surface s’est opacifiée ; la carte n’offre déjà plus la même fluidité visuelle que celle de l’espace lumineux pictural.
Sur le mur, une carte de géographie de Nicolas Piscator, grand géographe et chroniqueur hollandais des années 1620, représentant les Pays-Bas.
Que fait une carte de géographie derrière un personnage de genre féminin peint de profil immobile et lisant une lettre ? Ces deux éléments sujets nous entraînent vers un songe poétique.
L'artiste a mis le même fond d'écran, ce n'est pas un couvre-lit, pas une nappe du dimanche, la fille est peut-être devant un trou qu'elle cache. Ce n’est pas possible puisque dans un autre tableau de Vermeer on voit la carte en grand, pas de trou, pas de manque.
Si la jeune fille est face à la lettre et à une fenêtre, nous sommes face à une carte de géographie, mais du point de vue du texte de Marie-Ange, on la connaît à présent, il se pourrait bien que nous soyons aussi face à nous-même, face à une représentation d’une géographie intérieure. Et cette carte exprimerait, pourrait exprimer de nombreux points de vue, la désormais célèbre « mobilité iconique ». Alors que le peintre nous permet de devenir cette jeune fille qui est toute à sa lecture, la lettre, la carte ; nous sommes liés intimement. Vermeer pose entre réalité et points de vue un lien mobile, ouvert pour percevoir les messages de soi et du monde.
Elle a reçu une lettre de son époux qui voyage, elle est enceinte, elle sait, est-ce lui la carte du monde ; c’est une lettre d’un membre éloigné de la famille, géographiquement ou en tous les cas qui n’est pas présent là dans cette pièce ; même si c’est une liste de commissions ou un mot d’amour, celui ou celle qui l’a écrit n’est pas là. Elle se révèle à elle-même en même temps qu’elle révèle aux autres.
Me reprend cette fameuse nostalgie du présent. Cette femme semble arrêtée dans sa lecture, ailleurs, hors de son propre temps.
Moi-même devant cette fenêtre, je pouvais m’éloigner de vous en pensées, rejoindre un ailleurs imaginaire qui me permet si facilement de ne pas être en contact avec la réalité.
La seule vision de quelqu’un lisant son courrier dans la rue ou dans le métro nous donne, enfin me donne, à la fois le sentiment d’un plaisir voyeur et d’un détachement total.
La personne qui lit publiquement renvoie à notre propre intime et à une présence à soi dans un ailleurs qui n’est pas le ici.
Au début des téléphones portables, c’était flagrant.
La sensation du paysage, sa beauté, son étourdissement, sa violence prend sa source dans :
- une présence soudaine révélée à soi-même, un appel, un qu’est-ce qui m’arrive ?
- une absence du sujet, ici et maintenant, un oubli de soi, un évanouissement, je flotte, un adieu au réel.
- un contact inconnu et mystérieux antérieur, une retrouvaille, un « on était si tranquille. »
- un déjà-vu, un bonheur déjà goûté que l’on reconnaît, un rappel.
Le dessin, l’œil en même temps que la volonté de se saisir de la mesure, de la perspective, des points de fuite, en un mot une convention qui rassemble et détermine, une pensée unique mono-oculaire, à plat, un langage et un corps qui domine.
Quelqu’un s’étouffe un peu dans la salle, il commence à faire chaud et comme c’est le moment, j’ouvre deux rideaux. Derrière on découvre les lettres LUX (lumière en latin) et le paysage du studio. Ouverture d’une fenêtre.
Ici et maintenant.
Certains savent ce que l’on voit depuis cette fenêtre car ils/elles sont venus souvent, d’autres ne savaient pas du tout ce qu’il y avait derrière ces rideaux. Tout est affaire de point de vue, de relation, de culturel.
J’ai appris, merci Augustin Berque, nous avons beaucoup lu ces derniers temps sur le paysage, que pour certaines civilisations et non des moindres (dans l’Inde classique par exemple) la notion de paysage est totalement absente, je cite :
« Le mot sanskrit cara que l’on peut traduire par ‘milieu de vie’, une contrée saisie dans son étendue et dans ses ressources médicinales et alimentaires. On dira pour ces pays que c’est plutôt la digestibilité, le ventre plutôt que les yeux qui est favorisé. »
Ce que je regarde à présent, personne ne le voit. Non que ce soit particulièrement insoutenable ou merveilleux, mais comme la vue est unique nous ne pouvons imaginer que ce que l’on voit et c’est tant mieux.
Ainsi, ayant posé le principe par-dessus tout, et accompagnant ce que je viens de dire sur la vue, on pourrait développer vers d’autres sens le toucher, l’odorat, etc.
Cette femme près de sa fenêtre qui lit une lettre, immobile, sereine, attentive, si précise dans son contour est sujet de l’œuvre. Elle nous précise que la peinture propose un champ, une optique, un point de vue, une hauteur, un regard, une entrée et une sortie de l’espace pictural.
Je regarde une lectrice qui regarde une lettre. Elle est face à son courrier, je suis face à la carte de géographie, macro et microcosme, le monde du dedans et le monde du dehors coïncident par les yeux et le regard. Pendant que je regarde cette femme lire, je lis moi-même toutes indications, pas seulement le regard mais ce que je sens partout.
Alors vient une allégorie de la peinture. Le peintre peint le paysage de cette femme, par sa prise de contact avec autre chose qu’elle même. Il existe à cet endroit exact quelque chose qui n’a pas été vu, lu encore et qui reste sans doute peu vu et lu. Le paysage en peinture ne se réduit pas à une reproduction de la nature, mais bien à un mystère plus irreprésentable qui surgit dans la correspondance de l’espace-temps, et dont il s’agit d’en transmettre une lecture.
Cet instant, cette prise de vues, au sens du cinéma, nous donne la possibilité double d’être sujet de l’expérience, de recevoir, lire un courrier par exemple, mais aussi de voir l’image de quelqu’un lisant et de devenir l’œil du peintre, son choix de cadre, son recul, sa distance vis-à-vis du sujet, sa discrétion. Ce que je vois est bien la vision d’un peintre. Vermeer peint une lectrice et je deviens les deux sujets au même moment. Celui qui est représenté et celui qui a fait le geste de la représentation.
Repensons au « 0 m » de Paul-Armand Gette au vue de cette représentation. Il indique avec le 0 de l’altitude qu’il y a révélation qu’à la condition, non de renommer le paysage mais de s’y révéler comme sujet.
C’est ici que la pensée et l’action du paysage joue dans la pensée occidentale et cette manière de « voir » va déterminer quel type de choix nous pourrions engager lorsqu’il s’agit de travailler à « un 7 épisodes à propos du paysage. »
Nous savons que si le regard joue un rôle déterminant dans la faculté d’appréhender l’espace-temps, d’autres manières restituent le paysage.
La reproduction de la reproduction de ce tableau en gâteau rendrait notre tâche plus simple, même des lettres en sucre sur une feuille de pâte d’amandes nous donneraient d’autres sensations de l’espace pictural. Nous lirions avec notre appétit, notre désir de sucre, même si pour certains seul le salé compte.
Patrick André, lors de notre travail pour « Potlach-dérives » produit par le Centre Chorégraphique National de Montpellier, m’avait conseillé de proposer à Mathilde Monnier de faire brûler les cadeaux qu’on lui offrait. Le geste était paradoxal et proposait selon lui au moins un peu de chaleur. Ainsi cela fut fait. On offrit à la dame une boîte d’allumettes de son pays de naissance et les flammes donnèrent un peu énergie.
Conclusion .
La danse dans tout ça, le mouvement à propos du paysage ? Eh bien le nom paysage est à lui seul une allégorie de ma vision de la danse, qui en dehors de ses facultés visuelles devrait aussi tenir à d’autres facultés de perception, de digestibilités. A ce jour bon nombre de représentations spectaculaires viennent à peine border nos yeux d’images prévisibles, et ne nourrir que la vue au mieux. Nous réclamerons ici que si la révolution du geste est accomplie, il nous faut encore jouir ici au delà ou en deçà du visuel de toute l’étendue que réclament nos cœurs et corps affamés. Encore une fois je ne parle que pour moi.
Ainsi par un tour peut-être magique c’est ce que je souhaite, en hommage à ce peintre si connu, qui est mort en deux jours dans la tristesse la plus grande, me réclamant aussi de la pensée de Gilles Clément, et aussi d’Augustin Berque et d’autres, je vous invite à une collation récréative. Venant nourrir ce projet d’expérience à propos du paysage, il est temps de boire un coup, et de parler de la pluie et du beau temps, une manière aussi de s’inquiéter du paysage et de la danse.
Ici si nous buvons un verre en bavardant, nous faisons la même chose, mais sans perspective aucune.
Cette conférence dite zéro a été écrite en partie en juillet et août 2007 à Paris et au Havre.
Les sources citées :
- Augustin Berque, Cinq propositions pour une théorie du paysage, Champ Vallon, 1994.
- Vermeer pour la particulière beauté de son œuvre.
- Paul-Armand Gette, « Perturbation » (16 mars – 24 avril 1983, ARC, Musée d’art moderne de la ville de Paris).
Remerciements :
- Boris Jolivet pour le double son des peupliers du Jura.
- Marie Nimier pour la recherche sur Goggle.
- Marie-Ange Brayer pour le texte « La marque et la mesure ».
- Frank Boulanger qui m’a permis de réaliser l’agrandissement de la toile de Vermeer.
- Judith Perron et Frank Jamin qui me supportent depuis quelques mois autour de la géographie mouvante de ce projet. Et m’assistent avec patience.
- Jean-Philippe Rossignol pour la relecture attentive du texte.